Les agriculteurs français expriment un profond mal-être face à une concurrence européenne qu’ils jugent de plus en plus déloyale. Alors qu’ils doivent respecter des normes environnementales, sanitaires et sociales strictes, nombre de produits importés de pays voisins échappent à ces contraintes, entraînant une distorsion de concurrence.
Une filière en péril
Ce déséquilibre fragilise les exploitations françaises, met en péril la pérennité des filières locales et alimente un sentiment d’injustice croissant dans le monde agricole. Nombre d’agriculteurs dénoncent un système qui les pousse à bout, entre pression économique, isolement et perte de sens.
Un mal-être pas si nouveau
Si les premiers signaux d’alerte du mal-être en agriculture remontent aux années 1990, la prise de conscience collective a été lente. C’est surtout à partir des années 2010 que le sujet s’est imposé dans le débat public. En 2016, une étude de la Mutualité sociale agricole (MSA) et du Système national des données de santé (SNDS) constitue un tournant : elle révèle que les agriculteurs présentent un risque de suicide supérieur de 20 à 30 % à la moyenne nationale. Quelques années plus tard, en 2016, le film Au nom de la terre d’Édouard Bergeon a également contribué à briser le tabou autour du mal-être paysan. Ce drame est inspiré de l’histoire vraie de son père, éleveur victime de cette détresse silencieuse ayant mis fin à ses jours.
Des vocations qui se raréfient
Depuis 1982, le nombre d’agriculteurs a été divisé par 3.
De nombreux facteurs expliquent ce chiffre : baisse des revenus, vulnérabilité de la profession agricole, souffrances psychologiques, concurrence e déloyale. Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, l’isolement social, géographique et psychologique est une cause majeure du mal-être agricole. En Europe, 93 % des fermes sont des exploitations familiales, souvent situées en zones rurales isolées. Le travail y est fréquemment solitaire même si les structures comportent plusieurs associés. Dans le monde agricole, la culture du « stoïcisme » empêche l’expression des difficultés. Autrement dit, « on serre les dents » en silence.
Ce rapport pointe aussi du doigt la surcharge de travail. Ainsi, 45 % des agriculteurs européens travaillent plus de 10 heures par jour et 50 % dépassent les 48 heures hebdomadaires.
La cellule téléphonique Agri’écoute de la MSA complète cet état des lieux. Une étude de 2023, note que « les préoccupations personnelles et professionnelles restent dans une large mesure imbriquées ». Ainsi, les trois premiers facteurs évoqués sont : 1 -la pression économique, 2 – la surcharge de travail 3 – les contraintes administratives.
De la prévention au suivi : des solutions existent
Différents dispositifs ont été mis en place par la MSA notamment, depuis plusieurs années :
- Agri’écoute: cellule d’écoute téléphonique ou tchat
- Agri’Collectif : pour faire le point sur sa situation financière
- Le Réseau des sentinelles : repérage des signes précurseurs du mal-être
- L’aide au répit: vise à prévenir l’épuisement professionnel des actifs du monde agricole
Briser le silence autour du mal-être agricole
La santé mentale est l’affaire de tous, et la profession agricole, plus exposée que d’autres, mérite une attention particulière. Heureusement, la société évolue sur cette question, y compris dans le domaine agricole. De plus en plus de voix s’élèvent pour dire que non, ce n’est pas une faiblesse que de demander de l’aide. Non, il ne faut pas avoir honte de dire que l’on va mal. Briser le silence, c’est aussi permettre à d’autres de sortir de l’isolement.
Des dispositifs d’écoute, de soutien et d’accompagnement existent pour les agriculteurs. Ils doivent être connus, accessibles, et activement relayés.